Location : vers la création d'un fichier national des locataires mauvais payeurs
La FNAIM, Fédération Nationale de l’Immobilier, a annoncé sa volonté de mettre en place une liste des locataires mauvais payeurs. Cette base de données devrait être opérationnelle au début de l’année 2021. Voyons l’origine et le but de ce fichier national controversé.
Loi Nogal : l’origine du projet de liste noire
Le 14 janvier 2020, le député LREM Mickaël Nogal a déposé une proposition de loi baptisée “loi Nogal” (et non loi Nogan, comme on l’entend parfois). Ce projet vise à améliorer les relations entre locataires et propriétaires. Parmi les mesures phare de cette loi, on trouve la création d’un nouveau type de mandat de gestion. Jean-Marc Torrollion, le président de la FNAIM, premier syndicat des professionnels de l’immobilier en France, a expliqué que ce nouveau dispositif « vise pour les bailleurs la garantie des loyers impayés avec obligation de résultat » (source : Les Echos).
Qu’est-ce qui changera si un propriétaire décide de confier la gestion de son bien à un professionnel en utilisant ce nouveau mandat ? Le gestionnaire, et non plus le locataire, devra verser chaque loyer directement au propriétaire. En parallèle, il sera responsable du recouvrement des sommes dues auprès du locataire. Ainsi, le mandat de gestion intégrera obligatoirement la garantie loyers impayés. C’est donc exclusivement le gestionnaire qui supportera le risque de subir des incidents de paiement.
On comprend donc que les administrateurs de biens souhaitent plus que jamais disposer d’outils pour évaluer le risque locatif. Ils pourraient ainsi adapter leur tarif en fonction du risque que leur assurance doit couvrir. De là est venue l’idée de créer une liste noire des locataires mauvais payeurs, proposition dévoilée par la FNAIM lors d’une conférence de presse tenue le 15 janvier 2020. Cette banque de données nationale aiderait donc les gestionnaires professionnels à mettre en place le nouveau mandat de gestion établi par la loi Nogal. La FNAIM a affirmé que cette solution a d’ores et déjà été validée par la CNIL (Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés).
Quels locataires sont concernés ?
Cette banque de données portera le nom de la société qui va l’établir et sera donc baptisée “liste Arthel”. Cette liste devrait recenser tous les locataires ayant au moins 3 mois de retard de paiement de loyer (qu’ils soient consécutifs ou non).
Pendant combien de temps les locataires mauvais payeurs resteront-ils fichés sur cette liste ? La durée sera variable selon les cas, soit :
- Jusqu’au recouvrement de leur dette,
- Ou pendant 3 ans maximum.
On note donc que les anciens incidents de paiement qui ont finalement été réglés ne seront pas pris en compte dans cette liste. Ainsi, le mauvais historique d’un locataire qui est désormais à jour dans ses paiements ne viendra pas le pénaliser. La liste Arthel considérera uniquement les impayés non soldés.
Une mesure fortement controversée
Ce projet de liste noire des locataires mauvais payeurs suscite l’inquiétude voire l’hostilité de nombreux acteurs de l’immobilier locatif. Par exemple, la Confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie (CLCV) considère que la liste Arthel est une atteinte à la vie privée et qu’elle pourrait devenir une « source de discrimination et de stigmatisation ». Eddie Jacquemart, le président de la Confédération Nationale du Logement (CNL), s’indigne de ne pas avoir été consulté avant l’annonce de la FNAIM. « Ce fichier est purement scandaleux, s’est-il exprimé. C'est une atteinte à la vie privée et une barrière supplémentaire à l'accès au logement. Un impayé de loyers peut arriver à un locataire de bonne foi. »
Interrogée par Le Monde, la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) a déclaré accorder « une attention très particulière à ces fichiers de mauvais payeurs et à ces listes noires, au regard des risques qui pèsent sur les droits et libertés des personnes concernées ».
Du côté des propriétaires, on aurait pu s’attendre à ce que le dispositif soit reçu favorablement. Mais là encore, l’approbation n’est pas unanime. Pierre Hautus, directeur général de l’Union Nationale des Propriétaires Immobiliers (UNPI), déplore que ce fichier ne s’applique qu’aux adhérents de la FNAIM et ne couvre donc pas l’ensemble des locataires. Il craint que cela ne crée une opposition entre des locataires “premium” qui seraient acceptés sous le nouveau mandat de gestion, et des locataires “de troisième zone” qui seraient refusés.
Liste blanche des locataires honnêtes
Logiquement, la FNAIM, quant à elle, essaye de rassurer. Son président Jean-Marc Torrollion a reconnu que « le fichier représente un danger s'il n'est pas transparent ». Cependant, il assure que « les locataires seront informés et auront un droit de rectification. Dès qu'ils auront remboursé leur dette, ils seront désinscrits ». La FNAIM est donc favorable à un encadrement fort de ce fichier afin d’en garantir la transparence. Pour cela, il est aussi envisagé de collaborer avec des associations de locataires.
Afin d’encadrer l’utilisation de ces données jugées sensibles, la liste Arthel sera accessible uniquement par les professionnels. Ainsi, les propriétaires qui louent leur bien de particulier à particulier ne pourront pas y accéder, et encore moins l’alimenter. Ce modèle base de données est d’ailleurs déjà utilisé dans les secteurs de la banque, de la téléphonie et de l’assurance.
Pour Jean-Marc Torollion, il ne s’agit donc en aucun cas d’une liste noire destinée à opposer locataires et propriétaires. Il déclare plutôt que « ce fichier a pour objectif d’apaiser les relations locatives, en dressant une liste blanche des locataires honnêtes ». Il a également ajouté qu’il s'agit d'un « instrument avant tout dissuasif » qui fera « baisser le risque d'impayé en incitant les locataires à ne pas se faire recenser ».